« Challenging Assumptions: Avoid a Stilted Style »
Invité à endosser un rôle de rédacteur, le traducteur ne saurait se cantonner dans la littéralité. C’est l’appel à l’action qu’a lancé Marc Lambert, traducteur-réviseur à CPA Canada (Montréal) aux congressistes de l’ATA, réunis à La Nouvelle-Orléans en octobre 2018.
Par Marc Lambert
Rester traducteur, prudemment, ou devenir rédacteur ? Voilà la question que j’ai posée au dernier rendez-vous de l’ATA à La Nouvelle-Orléans, en octobre 2018. J’y proposais de jeter aux orties la méthode classique, qui veut qu’on se plie aux contraintes d’un suivi attentif – voire maniaque – de la syntaxe de départ, de l’ordre des idées, des moindres détails de l’original. Je nous invitais tous à plutôt prendre du recul afin d’aborder le travail sous l’angle de l’adaptation notionnelle, conceptuelle, en situation de communication.
Bref, là où le contexte l’autorise, repensons la démarche et osons l’optique rédactionnelle. Un geste qui passe par une prise de risque. Il faut s’approprier le texte, se dire : si j’avais moi-même eu à formuler ce message, dans ma propre langue, dans ce contexte, qu’aurais-je écrit? Quels éléments aurais-je ajoutés, retranchés? Comment m’y serais-je pris pour exprimer l’essentiel, sans tourner autour du mot, pour convaincre, renseigner, mobiliser?
Je vous propose ici de passer en revue trois exemples. Je vous soumets un fragment anglais, suivi d’une traduction correcte et fidèle. C’est déjà quelque chose, direz-vous. Quoique. Et le rythme, la fluidité, la vigueur? J’ai donc remanié la version d’origine pour viser la concision, l’allégement, la fonctionnalité.
Voyons le premier cas problème. Pour « New Study Shows Entrepreneurs Are at Risk of Fraud », on lisait : « Une nouvelle étude montre que les entrepreneurs risquent d’être victimes de fraude ». Traduction impeccable, qui saura réjouir les insomniaques, charmés par sa verbosité soporifique. C’est un titre d’article ! Tout de même. Alors, plongeons : « Fraude : l’entrepreneur, proie facile ». Et de un.
Aventurons-nous dans un autre registre : « During your stay in Boston, we will be here to help you with any needs, concerns or questions you might have. » Vite, sortons nos dictionnaires. Appliquons-nous, crispés sur notre clavier : « Pendant votre séjour à Boston, nous serons là pour vous aider en cas de besoin ou pour répondre à vos préoccupations ou questions. » Soupir. Entre superflu et superfétatoire, mon cœur balance. Faut-il vraiment en dire autant? Proposons : « Pendant votre séjour, nous serons à votre entière disposition. » C’est largement suffisant. Et de deux.
Pour conclure : « Out of a job? Job seekers need to learn how to be innovative and creative, and think outside the box. » Derechef, pusillanimes, on colle, on courbe l’échine, on s’asservit : « Vous êtes à la recherche d’un travail? Les demandeurs d’emploi doivent apprendre à faire preuve d’innovation et de créativité, et savoir sortir des sentiers battus. » Il faut de l’inspiration, du talent, que dis-je, du génie pour réussir à délayer autant. Biffons, raturons sans merci : « En recherche d’emploi? Innovez, sortez des sentiers battus. » Et de trois.
En conclusion, je suis convaincu que vous aurez trouvé l’exercice salutaire, pour redécouvrir la rédactrice – le rédacteur – qui sommeille en vous, histoire de mieux vous outiller. Arrêtez, je sais, nous n’aurons pas toujours la latitude voulue pour prendre un libre envol, bridés sous le carcan de mille et une nécessités. Mais je nous invite quand même à oser. Et à repartir, la plume légère, pour éviter lourdeurs et maladresses.
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Marc Lambert est traducteur-réviseur à CPA Canada (Comptables professionnels agréés du Canada) à Montréal (Québec). Il enseigne à l’école Magistrad et a participé aux congrès « On traduit à… » (Canada, France, Royaume-Uni).