The following is an excerpt from the soon-to-be-released Un bonbon sur la langue by Muriel Gilbert, the FLD’s Distinguished Speaker at the upcoming ATA conference in New Orleans. Her new book comes out this month.
Quand une colère verte retombe soi-disant comme un soufflet
Les expressions, c’est une de mes marottes : les bras m’en tombent, les yeux plus gros que le ventre, tout ça. Ces images sont le sel de la langue. On les appelle « expressions idiomatiques », non parce qu’elles sont idiotes, comme leur nom semble l’indiquer, mais parce qu’elles sont caractéristiques d’un idiome, d’une langue. L’une de leurs particularités étant qu’il est impossible de les traduire littéralement de l’une à l’autre. Si vous dites à un Grand-Breton : « You’ve got a spider on your ceiling » (littéralement : « Vous avez une araignée au plafond »), c’est vous qu’il va prendre pour un fou – ou, dans le meilleur des cas, il va sortir son balai pour faire le ménage, parce que chez lui, cette expression se traduit par « avoir des chauves-souris dans le clocher » (to have bats in the belfry), ou « avoir une abeille dans le bonnet » (to have a bee in the bonnet), ou encore « avoir perdu ses billes » (to have lost one’s marbles) – parmi mille autres possibilités, la langue anglaise étant remarquablement fertile pour imager l’agitation du bocal.
Mais, y compris lorsque l’on n’essaie pas de les traduire, l’usage des expressions est très précis. Il s’agit de formules figées. On dira : « Muriel est dans une colère noire », ou « Elle est rouge de colère », mais jamais elle ne sera « noire de colère » ou « verte de colère ». La colère, en français, est rouge ou noire. Un point c’est tout. En revanche, on dit : « Bernard est vert de rage. » La rage française est verte.
Bien souvent, les idiotismes génèrent des erreurs… Cette semaine, j’ai corrigé deux fois des événements « retombés comme des soufflets ». L’expression exacte est bien entendu : « retomber comme un soufflé », cette délicieuse spécialité au fromage, pas comme un soufflet destiné à attiser le feu dans la cheminée… ou comme la gifle à l’ancienne des Petites Filles modèles.
On espère aussi souvent le « retour de l’enfant prodige »… Un enfant prodige est un lardon surdoué, tandis que l’enfant prodigue – par allusion à une parabole de l’Evangile –, c’est celui qui revient au domicile paternel après avoir dilapidé son bien, l’adjectif prodigue signifiant, précise Larousse, « qui dépense follement, sans retenue ».
J’ai encore entendu récemment : « Dustin Hoffman est dans l’œil du cyclone. » L’œil du cyclone, c’est justement cet instant de répit, cette zone de calme au cœur de la tempête, donc un splendide contresens quand on veut parler de quelqu’un qui traverse une mauvaise passe.
Allez, un rappel en bonus. On évite d’affirmer qu’« il y a deux alternatives », à moins d’avoir quatre solutions à proposer, car une alternative, ce sont déjà deux options.
Moins connu, peut-être, le piège de soi-disant. Soi-disant signifie « qui se prétend », ou « qui se dit ». N’évoquons donc pas un « soi-disant château », ou d’une « soi-disant bonne affaire », puisque le château ou la bonne affaire sont bien incapables de « dire » quoi que ce soit. On peut en revanche parler d’un « soi-disant érudit », d’une « soi-disant actrice », puisqu’ils sont doués de parole. Pour les objets, on dira : « un prétendu château », « une prétendue bonne affaire ».
© Vuibert, August 2018.
Tour à tour traductrice de presse et d’édition, secrétaire de rédaction et journaliste, Muriel Gilbert est aujourd’hui correctrice au quotidien Le Monde et chroniqueuse « langue française » sur RTL, la première radio française. Elle est l’auteure de :
- Un bonbon sur la langue (La Librairie Vuibert-RTL septembre 2018)
- Quand le pou éternuera – Expressions des peuples, génie des langues (Ateliers Henry Dougier, 2018)
- Au bonheur des fautes – Confessions d’une dompteuse de mots (La Librairie Vuibert, 2017)
- Que votre moustache pousse comme la broussaille ! – Expressions des peuples, génie des langues (Ateliers Henry Dougier, 2016)